Si dans l’article précédent (Analyse des données spatiales et analyse spatiale des données) rien n’était particulier à la gestion du littoral, il ne sera pas de même ici. Nous allons commencer à voir en quoi la géomatique appliquée aux zones littorales présente des caractéristiques tout à fait propres.
Mais commençons par une caractéristique générale à toute analyse spatiale, sur terre ou sur mer. Les sciences environnementales sont des sciences de l’observation en opposition aux sciences expérimentales. Nous n’avons que trop rarement la possibilité d’expérimenter, de tester nos idées sur les processus qui expliqueraient les différentes situations. La méthode la plus habituelle consiste à mesurer les valeurs que prennent des variables et d’utiliser leur localisation respective pour expliquer les différences observées. C’est donc leur position géographique la clé de la résolution de nos problèmes. Et c’est là où cette position géographique peut intervenir selon deux modes distincts: sous forme de localité (contexte) ou sous forme de localisation (spatiale).
L’environnement côtier est constitué d’un éventail varié de localités, d’espaces. Chacune de ces localités est déterminée par un ensemble propre de conditions environnementales locales. Dans le contexte de la modélisation spatiale, le traitement de la position géographique comme «localité» s’appuie sur la diversité des lieux qui fait varier la valeur des variables observées. Nous pouvons prendre l’exemple d’une carte de vulnérabilité du littoral: chaque zone (localité) détermine un ensemble propre des variables utilisées pour la classification du littoral.
Dans l’environnement côtier, les gradients des différentes conditions environnementales sont un des aspects les plus marquants. L’approche de la position géographique en tant que localisation (espace) met l’accent sur le comment les objets se situent les uns par rapport aux autres le long de ces gradients, et comment ce positionnement relatif peut expliquer la variabilité observable.
Cette variabilité peut résulter des relations spatiales et peut s’exprimer à travers des mesures telles que la distance, le gradient et le voisinage.
Un gradient est une propriété locale d’un espace mais qui découle de l’ampleur relative d’une variable dans deux zones voisines. Un exemple de gradient peut être la distribution d’une espèce de poisson. On observera des zones(localités) de forte population, des zones(localités) où l’espèce sera absente et tout un éventail de positions géographiques (localisations) où on observera des valeurs décroissantes.
J’espère qu’à présent vous saisissez la nuance entre localité et localisation. Car en ce qui concerne les localités il faut, en environnement littoral, ajouter une caractéristique tout à fait propre: les localités ne sont pas forcément figées dans l’espace. Le cas le plus parlant c’est le cas des masses d’eau. Chaque masse d’eau est caractérisée par toute une série de paramètres (salinité, température,…). Mais elles se déplacent. A un instant donné vous aurez sur un plage une masse d’eau côtière, tempérée. Le lendemain vous trouverez une masse d’eau du large, froide. Si vous vous intéressez aux devenir des polluants, rien ne sert de mélanger vos observations : vous êtes bien au même endroit, mais pas du tout à la même « localité ». La concentration de tel polluant mesuré la veille il faudra aller la comparer avec la concentration d’aujourd’hui dans la même masse d’eau qui peut se trouver à des kilomètres de distance.
Mais vous vous demanderez peut-être où est-ce que je veux en venir. Dans les faits, on peut constater que l’on a une tendance à attaquer billes en tête l’analyse spatiale en se focalisant sur les gradients et en oubliant le préalable de mettre en évidence les localités concernées par notre étude. La complexité et la puissance des outils géomatiques d’aujourd’hui permettent d’avoir des résultats tout à fait présentables, même quand notre démarche intellectuelle n’est pas rigoureuse. C’est un piège qui oblige le géomaticien à toujours se poser la question sur ce que l’outil fait réellement et sur les données et les assomptions que l’on est censés respecter.
L’exemple le plus flagrant est l’application de méthodes de krigeage sur des données littorales qui ne respectent pas le principe de stationnarité de la moyenne. La stationnarité de la moyenne suppose que la moyenne est constante entre les échantillons et qu’elle est indépendante de l’emplacement des échantillons. Si vous voulez faire une carte bathymétrique sur une zone littorale, vous aurez une moyenne différente selon que vous serez tout près de la côte ou loin au large. Vous pouvez ignorer ça et réaliser votre krigeage, vous aurez un résultat qui vous semblera correct même s’il est mathématiquement et conceptuellement faux. La procédure correcte est de déterminer d’abord la tendance des données, l’enlever des valeurs en entrée (ce qui rend la moyenne stationnaire), de réaliser le krigeage et de rajouter la tendance au résultat.
Le résultat obtenu sera différent dans les deux démarches, le deuxième étant beaucoup plus fin et permettant de mettre en évidence des caractéristiques cachées au premier coup d’œil. Par contre en suivant la première démarche vous passerez des heures pour obtenir pratiquement le même résultat qu’en utilisant une méthode d’interpolation IDW qui vous aurait demandé quelques minutes de travail.
Bien que la présence de l’auto-corrélation spatiale présente un défi analytique, il existe un certain nombre d’avantages pratiques découlant de son intégration dans l’analyse des environnements côtiers :
• quantifier l’étendue et le modèle de la dépendance spatiale dans les zones côtières,
• déterminer la présence d’informations redondantes dans les ensembles de données de terrain,
• quantifier la nature et le degré avec lequel les hypothèses fondamentales de la statistique classique (non spatiales) ne sont pas respectées,
• déterminer dans quelle mesure un modèle observé est de nature spatiale ou non, et
• permettre d’utiliser des composantes spatialement structurés du modèle pour combler des variables manquantes.
Dans le prochain article nous aborderons un autre aspect marquant de l’analyse spatiale dans les zones littorales: les échelles spatiales et temporelles de l’analyse.
« A un instant donné vous aurez sur un plage une masse d’eau côtière, tempérée. Le lendemain vous trouverez une masse d’eau du large, froide. Si vous vous intéressez aux devenir des polluants, rien ne sert de mélanger vos observations : vous êtes bien au même endroit, mais pas du tout à la même « localité » »
Ou au contraire si vous voulez « démontrer » de manière pseudo-scientifique qu’il n’y a pas de pollution vous prendrez « innocemment » les mesures par vent de terre et à marée descendante. Car il n’est pire qu’une démarche scientifique dévoyée. Prenez une vinaigrette, mesurez son taux d’huile dans le fond. Laissez la reposer. Mesurez à nouveau son taux d’huile dans le fond. Vous avez « démontré » que laisser reposer une vinaigrette suffit à faire disparaître l’huile : le message de François Atilio vaut aussi comme message de vigilance sur les cartes présentées et pas seulement sur celles qu’on peut être amené à faire.
Dans un autre cadre j’ai demandé à un expert à propos d’un autre expert : vous connaissez X ? Il est compétent ?
Réponse : très.
Moi : merci je me demandais s’il était incompétent ou malhonnête.
C’était effectivement le détournement d’une démarche scientifique pour arriver à mesurer un taux 50 fois plus faible que le taux réel tout en prétendant par un prétexte fallacieux que les autres n’étaient pas rigoureux.