Dans la série d’articles précédents nous avons vus des exemples d’application de la logique booléenne et de la logique floue, ainsi que deux commandes pour ArcGis permettant l’application de la logique floue à des informations géographiques. Nous allons maintenant voir la théorie qui est à la base de ce type de traitement.
Introduction
On a un ensemble Ω d’objets à classer selon un ensemble C de critères. Le nombre d’objets est fini. Les évaluations partielles des objets selon chaque critère prennent leurs valeurs dans des ensembles facilement identifiables.
Un objectif partiel sera vu comme un ensemble flou restreignant les valeurs admissibles du critère associé. On accepte donc l’hypothèse implicite que chaque objectif définit un ordre total sur Ω.
Nous prendrons comme exemple le cas d’un ensemble Ω représentant les pixels d’une zone d’étude que l’on désire classer selon leur aptitude à recevoir des sites d’élevage aquicole. L’ensemble C de critères est l’ensemble de couches de données dont on dispose: bathymétrie, pente, substrat, productivité, etc. Chacune de ces couches d’information prend des valeurs facilement identifiables : favorable, peu favorable, défavorable, etc.
Pour chaque couche d’information on décidera un objectif, par exemple, pour la bathymétrie qu’elle soit au moins favorable, pour la productivité qu’elle soit au moins peu favorable, etc. L’objectif n’est autre que le sous-ensemble des valeurs acceptables de la couche d’information.
Enfin, on accepte l’hypothèse que chaque couche d’information prise séparément peut être classée dans sa totalité par l’objectif fixé, c’est à dire qu’on est capable pour chaque pixel de déterminer la valeur correspondante de la couche.
Principe de l’approche.
L’objectif associé à un critère (couche d’information) sera décrit comme un ensemble flou. Les valeurs des pixels de la couche situées dans le noyau seront donc parfaitement compatibles avec l’objectif, tandis que les valeurs situées en dehors du support sont totalement incompatibles.
Si on utilise seulement deux catégories de valeurs, par exemple favorable et défavorable, on aura pour la bathymétrie la représentation suivante de l’objectif.
Même si l’estimation d’une fonction mathématique reliant la profondeur à l’adéquation du site pour l’élevage des huîtres ne peut se faire de façon exacte, la forme de la courbe permet d’exprimer certains comportements du décideur. C’est pourquoi, en général on préfère utiliser une échelle discrète de notation comportant le plus souvent 5 niveaux, maximum 7, selon le seuil de perception du décideur.
Une manière simple est d’exprimer linguistiquement les niveaux de compatibilité entre l’objectif et l’évaluation, puis de les projeter sur [0,1] en utilisant le tableau suivant:
Appréciation Linguistique | Niveau de compatibilité conséquence - objectif | Convention numérique dans [0,1] | Convention ordinale |
---|---|---|---|
Très bien | Totalement compatible | 1 | A |
Bien | Plutôt compatible | 0,75 | B |
Assez bien | Moyennement compatible | 0,5 | C |
Médiocre | Faiblement compatible | 0,25 | D |
Très mauvais | Incompatible | 0 | E |
Le fait de représenter le critère à l’aide d’un intervalle flou permet une représentation plus commode et plus riche en information. En effet, le décideur doit fournir un souhait quant à la valeur, par exemple, de la bathymétrie. Il doit établir un intervalle mais la question se pose forcément: doit-il fixer cet intervalle en étant pessimiste et donc en établissant des bornes éloignées, ou alors en étant optimiste et donc en resserrant les bornes?
L’intervalle flou permet d’avoir les deux représentations à la fois: l’intervalle pessimiste sera le support et l’intervalle optimiste le noyau.
Par exemple: si le décideur considère qu’il est impossible d’élever des huîtres en deçà de 4m de profondeur et au-delà de 25 m de profondeur, mais que les profondeurs optimales se situent entre 8 et 12 m, nous aurons comme objectif l’intervalle flou suivant:
L’agrégation de critères
On considère ici le cas d’une paire de critères. La généralisation au cas de n critères où n>2 est présentée dans un autre document.
Deux situations sont à étudier:
- deux critères d’égale importance;
- deux critères d’importance inégale.
1:Critères d’égale importance.
Deux critères d’égale importance peuvent être croisés selon le principe de tout ou rien ou alors en introduisant des nuances. Le principe de tout ou rien exclut tout compromis entre les deux critères et se traduit par deux opérations d’agrégation: la conjonction ou la disjonction. La conjonction est utilisée dans le cas ou l’on désire la satisfaction simultanée des deux critères (le “et” logique). C’est à dire que l’évaluation globale ne peut être meilleure que la plus mauvaise des évaluations partielles.
Exemple: agrégation du critère substrat et productivité. Si l’attitude du décideur implique la satisfaction simultanée des deux critères cela veut dire que si le substrat est moyennement favorable et la productivité est très favorable, le résultat de l’agrégation des deux critères sera le plus défavorable des deux, c’est à dire moyennement favorable.
La disjonction est utilisée dans les cas où des critères sont redondants (le “ou” logique). C’est à dire que l’évaluation globale sera égale à la meilleure des évaluations partielles.
Exemple: agrégation du critère « qualité de l’eau » et « productivité ». Si l’attitude du décideur implique une redondance de ces deux critères cela veut dire que si la qualité de l’eau est moyenne est la productivité est très bonne, le résultat de l’agrégation sera le plus favorable des deux, c’est à dire « très bon ».
Une troisième attitude du décideur laisse de côté le tout ou rien pour introduire des nuances dans l’agrégation. Si les objectifs deviennent nuancés, le compromis entre les deux critères devient une des attitudes naturelles du décideur.
Le compromis se traduit par le fait que l’évaluation globale se situe à un niveau intermédiaire entre les évaluations partielles. En reprenant l’exemple de la qualité de l’eau et la productivité, si on a une qualité moyenne et une productivité excellente, le résultat sera; par exemple, «bon».
Sur des ensembles flous on réalise ce type d’opération ensembliste à l’aide de deux familles d’opérations d’agrégation : les sommes symétriques et les médianes paramétrées.
Parmi les médianes paramétrées on retrouve la moyenne harmonique la moyenne géométrique , et la moyenne arithmétique ,etc.
Les sommes symétriques sont du type: , , etc
Procédure de détermination de l’opération d’agrégation.
Dans le cas d’agrégation de deux objectifs il existe une procédure simple pour déterminer le type d’opération à effectuer. Elle consiste à proposer au décideur trois situations type et lui demander de les évaluer. A partir des trois réponses données on recherche dans un catalogue de fonctions celle qui correspond le mieux aux souhaits du décideur.
Les trois situations type (Si, S2, S3) sont choisies en fonction des deux critères (C1, C2) de manière que:
- S1 soit incompatible (Note E ou 0) avec C1, mais totalement compatible (note A ou 1) avec C2;
- S2 soit moyennement compatible (note C ou 0.5) avec les deux objectifs C1 et C2:
- S3 soit moyennement compatible (note C ou 0,.5) avec C1 et totalement compatible (note A ou 1) avec C2.
On obtient trois réponses (RI, R2, R3) à partir desquelles on cherche l’opération d’agrégation dans la table suivante.
Cette table n’est pas exhaustive et ne concerne que les réponses plus habituelles. En réalité l’ensemble des réponses possibles comporte 50 triplets. Ces triplets doivent toutefois respecter les contraintes suivantes:
1 ) R3 ≥ max( R1 ,R2), l’évaluation d:une situation qui satisfait complètement le critère 2 et moyennement le critère 1 doit être au moins égale à la meilleure évaluation des deux autres situations (R1 et R2), dont l’une ne satisfait pas du tout le premier critère et l’autre satisfait que moyennement les deux critères;
2) R3≥ note C ou 0,5 , la satisfaction totale du deuxième critère ne peut faire chuter la satisfaction globale en dessous du niveau de satisfaction du premier critère ;
3) la fonction d’agrégation doit être symétrique, c’est à dire que les objectifs sont d’égale importance et peuvent donc s’interchanger dans le processus d’agrégation. (Attention: dire que les objectifs sont d’égale importance n’implique pas qu’ils aient le même caractère critique. Voir plus loin: objectifs d’importance inégale).
La suite dans le prochain article…